dimanche 5 avril 2009

La vie à Charens

Quelques chiffres de recensement donnent un petit aperçu de la désertification des montagnes :

215 habitants en 1841
160 habitants en 1881
123 habitants en 1906
76 habitants en 1931 et en 1936
50 habitants en 1968
33 habitants en 1999
23 habitants en 2006


Au début du XXème siècle, toutes les terres étaient cultivées. La commune, propriétaire de plusieurs parcelles de terre, organisait chaque année un tirage au sort afin de les départager entre agriculteurs. Ainsi tous les ans, cette distribution, arbitrée par la bougie impartiale, animait le village.






Chacun s'organisait pour récolter en plus grande quantité la lavande autrefois cueillie principalement par les femmes. La communauté s'entraidait et l'échange de services déjà bien pratiqué allait s'intensifier. Chaque famille possédait un alambic et utilisait ses propres connaissances pour distiller.
C'est l'arrivée en 1910 d'un haut-alpin, M. Andréoli, qui va voir naître une culture organisée de la lavande de plus en plus demandée par l'industrie aromatique.



La montagne de Charens allait s'enrichir de couleurs variées, du bleu indigo des sillons au bleu azur du ciel, contraste formidable pour le pinceau du peintre, odeur puissante pour l'abeille qui, sans le savoir, allait produire une ressource supplémentaire et intéresser l'apiculteur.

Les de Chevandier, famille autrefois noble et endettée, allaient perdre leurs terres au profit de M. Andréoli, retraité de l'armée et ancien percepteur, qui grâce aux bonnes expositions des lieux-dits le Clos, l'Adret, l'Assotte, Serre Merle, le Suel, implanta la lavande fine jusqu'alors inconnue dans ces lieux. Ainsi, avec l'aide de deux ouvriers et d'une bonne mule, ses récoltes abondantes attirèrent l'attention et après la disparition de son meilleur ouvrier à la guerre, les habitants du village, forts intrigués mais sans doute intéressés, lui apportèrent le coup de main qu'il attendait.
Les productions de lavande fine de ce précurseur haut-alpin permirent à l'ensemble de la population de s'enrichir de connaissances et d'un savoir-faire exemplaire, et bientôt la cueillette prit de l'importance chaque saison, créant de véritables chantiers de coupe.

Passé 1926, date de la disparition de M. Andréoli, ses plantations rachetées, toutes les terres cultivables des paysans furent associées à la lavande. Ils profitèrent des vieux plans de lavande fine laissées à l'abandon pour ordonner en grands maîtres lavandiers qu'ils étaient devenus, des sillons de plus en plus majestueux avec une régularité dans le temps sans égal pour la région.

Des baïassières (nom patois donné pour les endroits où poussaient spontanément des touffes de lavance : les baïasses) nettoyées, binées, désherbées à la main ou par les troupeaux en fin de récolte permettant par la même un enrichissement des sols, bénéficiaient de la fraîcheur de l'altitude tellement convoitée par cette plante.

Sa culture a donc modifié les mentalités de ces régions pauvres et la cueillette de la lavande allait prendre rapidement une ampleur inattendue, stimulée par la demande croissante des parfumeurs de Grasse et l'intérêt économique tout particulier pour la population.


Dans les années 20, la production de 100 tonnes d'essence de lavande était directement issue, à 90 %, de la cueillette sauvage. Juste après la deuxième guerre, toute la production provint de la culture (80 tonnes environ).

Les années 50 furent excellentes pour Charens et les paysans cultivaient partout où il était possible, à un homme et à son ingéniosité, de travailler. Dans les terrains très pentus, l'utilisation du chariot était indispensable : un plateau sous lequel étaient fixés des patins renforcés de fers servant à freiner le convoi à la descente, un pin y était accroché à l'arrière sur lequel toute la famille venait s'assoir pour l'alourdir, le tout attelé à un cheval ou à un mulet.
Une journée d'été à Charens reposait sur le courage des hommes et des femmes exposés au soleil et à la chaleur, aux longues journées sans fin et aux nuits harassantes qui deux fois par semaine commandaient la distillation au rythme des passées : 7 à 8 passées par jour à deux bonnes heures l'unité pour soutirer l'élégante espèce florale, essence nécessaire au bien être des gens... déjà aisés.



Le travail aux champs commençait dès l'aube jusqu'au soir pour ramener chaque jour les 100 kg de fleurs que pouvait ramener un adulte. Le soir, le traineau était acheminé sur les lieux et le chargement de la récolte de la journée avait alors lieu : de l'ordre de cinq bourras (unité de mesure correspondant à environ 60-70 kg).

La descente vers le village se déroulait au pas du cheval tractant avec fierté ce traineau synonyme de réussite, chacun comptant pas après pas, jour après jour, le nombre de bourras, le nombre de passées, le dos fourbu mais heureux et respectueux de cette terre, support de vie.

La concurrence puis les maladies, mystérieuses en 1960, ont d'abord menacé puis contraint ces hommes et ces femmes hors du commun, à arrêter leurs activités, ô combien nobles. L'exode associé à l'érosion de terres abandonnées ne laissent aujourd'hui que des traces de ce passé. Ces hauts lieux devenus landes ou pinèdes ont été reboisés afin d'éviter une catastrophe écologique sans précédent.

A l'heure actuelle, la lavande est toujours cultivée mais en petit nombre et c'est essentiellement l'élevage avec l'agneau des préalpes qui prédomine.

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